Matthieu 2,13-23

La fuite en Égypte d’une discrète famille royale

Évangile du dimanche 28 décembre

Par l’Ange, Joseph a reçu pour mission d’être le chef de la Sainte Famille, de la protéger et de faire grandir en elle l’Enfant-Dieu. Il la remplit en obéissant au messager céleste avec force et douceur et surtout dans un grand esprit d’humilité, en commençant par assurer la discrétion de leur exil en Égypte...

Données introductives sur Matthieu 2,13-23

L'Évangile de Jésus Christ selon Saint Matthieu
chapitre 2, versets 13 à 23

Note de traduction : pour des questions de droits d’auteur qui nous empêchent de publier le texte commun, nous vous proposons ici une traduction de l'Évangile depuis la Vulgate latine et la Peshitta araméenne. Bien qu'imparfaite, notre traduction cherche à favoriser la conservation du contexte de ces deux traditions ecclésiales. La pertinence de cette page tient davantage au commentaire proposé à sa suite.

13. Alors qu’ils^[1] s’en allaient, un ange du Seigneur Dieu se fit voir en songe à Joseph et lui dit : "Debout ! Vers l’étranger ! Pour l’Enfant et sa mère ! Et fuis en Égypte et sois là-bas^[2] jusqu’à ce que moi je te le dise et sois vite prêt car Hérode va faire rechercher l’Enfant pour Le détruire."
14. Joseph alors se leva, prit l’Enfant et sa Mère dans la nuit et s’enfuit en Égypte.
15. Et il fut là jusqu’à la mort d’Hérode. De sorte que furent accomplis les faits et gestes mis en Parole venant du Seigneur Dieu dans la prophétie qui dit : "D’Égypte j’ai appelé Mon Fils."^[3]
16. Alors Hérode, quand il vit qu’il avait été trompé par les Mages, fut pris d’une grande colère et envoya tuer tous les enfants, âgés de deux ans et en dessous, qui se trouvaient dans Bethléem et tous ses environs, cela selon le temps déduit de ce qu’il avait appris des Mages.
17. Et ce fut alors que s’accomplirent les paroles et les actes qui furent rapportés^[4] par le prophète Jérémie lorsqu’il a dit :
18. "Une grande clameur a été entendue dans Rama en cris et lamentations : c’était Rachel qui pleurait ses enfants et ne voulait pas être consolée car ils n’étaient plus."
19. Quand fut mort le roi Hérode, alors un ange du Seigneur Dieu se rendit visible en songe à Joseph en Égypte,
20. Et il lui dit : "Debout ! Pour l’Enfant et sa mère ! Pour repartir et aller^[5] en terre d’Israël ; ils sont morts en effet ceux qui cherchaient à couper le souffle de l’Enfant."
21. Et Joseph se leva, prit l’Enfant et sa mère et il revint en terre d’Israël.
22. Mais quand il entendit qu’Archélaüs était roi en Judée, à la place d’Hérode son père, il eut peur d’y aller et il reçut en songe d’aller dans la région de Galilée.^[6]
23. Et il vint sur place dans le chef-lieu qu’on appelle Natzareth^[7] et ainsi fut accompli ce qui avait été dit sur ce lieu en paroles et en gestes par les prophètes : "Il sera appelé nazaréen."

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Commentaire et contexte de cet Évangile

La « mémoire » de Joseph

Contrairement au collier de l’enfance dont on sait que Marie a personnellement dirigé la récollection et la mise en forme, cet évangile de Matthieu a typiquement la tonalité d’un « texte d’homme ». Il est d’ailleurs facile de montrer qu’il n’a pu être composé qu’à partir de souvenirs directement fournis par Joseph lui-même.

Dès lors qu’il est l’héritier et qu’il a reconnu Jésus, Joseph n’a plus de raison de renoncer à sa succession. En tant que prince et personnage historique, à l’instar de tout prince qui documente ses actions, il a l’obligation de tenir à jour sa généalogie et la chronique des événements où il est intervenu et notamment le récit sur l’exil en Égypte et le retour au pays, qui constitueront ses chroniques princières. Chroniques qu’il a nécessairement transmises à ces proches...

Ce qu’il rapporte en effet, ce ne sont pas seulement des actes que le père adoptif de Jésus a accomplis à l’époque du recensement et qui pourraient aussi bien avoir été rapportés par d’autres témoins. Ce qu’il rapporte c’est ce que l’ange lui a commandé de faire en venant à sa rencontre la nuit et dans le secret de ses rêves : les mises en garde qu’il lui a adressées, les instructions qu’il lui a données, les informations qu’il lui a fournies sur les intentions meurtrières d’Hérode ; toutes choses qu’il était évidemment le seul à connaître et dont personne ne pouvait témoigner à sa place.

La mission d’un prince

Joseph fut un grand dormeur devant l’Éternel. C’est ce que Dom Augustin-Marie Joly^[1] fait remarquer avec humour quand il écrit :« Chaque fois qu’il est question de lui dans l’Évangile c’est pour apprendre qu’il dormait. » Aussi est-ce dans le secret de ses rêves que Dieu lui a fait connaître la mission qui serait la sienne et qu’illustre l’étymologie même de son prénom. En araméen Joseph désigne en effet « celui qui fait grandir ».
C’est à lui que reviendra donc le soin d’élever l’Enfant-Dieu, en l’accompagnant dès avant sa venue au monde et en prenant soin de Marie sa mère. Il sera en somme le protecteur de la Sainte-Famille, avant que de devenir celui de l’Église universelle.

Qui est l’enfant et pourquoi est-il en danger ?

Le récit de Matthieu rapporte deux faits qui montrent que la lignée princière de l’Enfant était connue de beaucoup en Israël et qu’elle était de nature à inspirer l’hostilité de certains à son égard.

• Le premier fait c’est l’inquiétude d’Hérode qui ne doit son trône qu’au bon vouloir des Romains, et qui redoute comme la peste la naissance d’un héritier légitime du roi David. Ce que Jésus est à double titre : aussi bien par Joseph à qui le royaume du sud revient de plein droit, que par Marie qui est l’héritière non moins légitime du royaume du nord.
• Le deuxième fait c’est que les mages viennent pour se prosterner devant lui en Lui offrant « de l’or, de l’encens et de la myrrhe » ; geste de grand respect et cadeaux de grand prix qu’on réserve normalement aux souverains dont on veut s’attirer les bonnes grâces.

En faisant de Jésus le fils d’un modeste artisan, la tradition a voulu célébrer la vertu de pauvreté qui est au centre de la Bonne Nouvelle. Mais, ce faisant, elle a donné naissance à une légende qui a fait oublier le rang princier occupé par Joseph ; en même temps d’ailleurs qu’elle a rendu illisible la situation politique tendue de la Palestine de l’époque, et la gravité des menaces qui ont entouré la naissance de l’Enfant.
Héritier du royaume de Judée, Joseph constitue lui-même un danger pour Hérode qui tremble pour sa couronne illégitime. Et il ne manquerait certainement pas de le faire périr si l’opportunité se présentait à lui ; comme ses prédécesseurs avaient fait périr son père, qui lui aussi s’appelait Joseph, en obligeant les princes de sa maison à aller chercher refuge du côté de Nazareth.

Joseph agit comme un prince avisé

De sa position princière et de ses devoirs Joseph a visiblement une conscience très aiguë. C’est du moins ce que le texte de Matthieu laisse entrevoir. Cela se sent aux décisions qu’il prend ; à la promptitude avec laquelle il sait exécuter les consignes que l’ange lui notifie. On le sent aussi conscient de ses devoirs que parfaitement au fait de la situation géopolitique - ô combien complexe - dans laquelle se trouve « son royaume ». On dirait un bon politique qui connaît ses dossiers sur le bout du doigt et qui semble parfaitement renseigné sur ce qu’il s’y passe. Bien aidé par l’ordre de l’ange, Joseph sait dans quelle direction il doit fuir pour mettre sa famille à l’abri, et par son expérience, quelle route il devra emprunter pour remonter ensuite vers Nazareth.

Marie dans le silence et la confiance

Marie a été élevée dans le Temple de Jérusalem, dans l’entourage des grands prêtres et des docteurs de la loi mais surtout elle avait, comme toutes vierges consacrées (toutes religions confondues), sa chambre tout près du Saint des saints. En tant que princesse et légitime héritière d’un royaume, elle avait connaissance des évènements qui agitaient le pays mais elle se consacrait avant toutes choses à la prière et à la méditation de la Parole de Dieu. Ainsi a-t-elle acquis une grande connaissance des Écritures, des psaumes et des prophètes ; surtout de ceux qui, à l’instar de Jérémie, ont annoncé la naissance de son divin Fils. Avec le massacre des innocents de Bethléem et sa région^[2] perpétré par Hérode, elle a probablement pu rappeler à Joseph le cantique de Rachel ; ce chant tragique où il est question d’une mère qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée.

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