Marc 10,17-31

Le jeune homme riche et le chameau face au trou d’aiguille, entrée du Royaume de Dieu

Évangile du dimanche 13 octobre

En renonçant à le suivre pour rester prisonnier de ses richesses, le jeune homme riche donne à Jésus l’occasion d’enseigner ses disciples sur l’attitude qui devra être la leur vis-à-vis des biens de ce monde, et sur l’usage qu’ils devront en faire, non seulement dans le quotidien de leur vie mais surtout dans le cadre des missions dont Il veut les charger.

L'Évangile de Jésus Christ selon Saint Marc
chapitre 10, versets 17 à 31

Note de lecture : pour des questions de droits d’auteur qui nous empêchent de publier le texte commun, nous vous proposons ici une traduction de l'Évangile depuis la Vulgate latine et la Peshitta araméenne. Bien qu'imparfaite, cette traduction cherche à favoriser la conservation du contexte de ces deux traditions ecclésiales. La pertinence de cette page tient davantage au commentaire proposé à sa suite.

17. Et ce fut alors qu’Il s’était mis en route, il y en eut un qui courut en premier vers Lui et qui, tombant à genoux, ouvrit le mashal^[1] en Lui disant : « Bon Maitre qu’ai-je à faire pour avoir la vie éternelle^[2] ? »
18. Jésus lui dit :
    « en quoi M’appelez-vous bon ? De Bon, il n’y a personne sinon Dieu.
19. Les commandements ! Tu les connais : pas d’adultère, pas de meurtre, pas de vol, pas de faux témoignages, pas de harcèlement sur les personnes, honore ton père et ta mère... »^[3]
20. Mais répondant, il lui dit : « Maître, tous ceux-là, je les ai observés depuis ma jeunesse ».
21. Mais Jésus, le voyant, l’aima et lui dit : « Il te manque une seule chose : va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le Ciel^[4] et prends ta croix et viens à ma suite. »
22. Alors celui-ci fut attristé par le contenu de cette Parole et il s’en alla tout en étant déprimé.
23. Et Jésus dit à ses disciples, en regardant en eux : « Comme il est difficile à ceux qui ont de l’argent d’entrer dans le Royaume de Dieu ! »
24. Or ses disciples étaient étonnés de ses paroles et Jésus reprit à nouveau et leur dit : « mes fils combien ce sera dur pour ceux qui ont confiance dans leurs richesses d’entrer dans le Royaume !
25. Il est bien plus facile de faire passer un cordage par le trou de l’aiguille que de faire entrer un riche dans le Royaume de Dieu. »
26. Ils étaient étonnés, se disant : « Comment avoir ces vies ? ».
27. Ainsi Jésus les regarda bien et leur dit : « Parmi les hommes c’est impossible mais auprès de Dieu toutes choses sont possibles car elles sont auprès de Dieu ! ».
28. Et Pierre commença à Lui dire en se répétant : « Voici que nous avons tout laissé et nous sommes attachés à Toi. »
29. Jésus lui répondit :
    « Amen je vous le dis, personne ne quitte maisons, ou frères et sœurs, ou père et mère, ou femme et enfants, ou champs, à cause de ma Bonne Espérance,
30. et qui ne reçoivent, dès ce temps-ci, cent fois plus : des maisons et des frères et des sœurs et des mères et des enfants et des champs et, malgré les persécutions, les vies jusqu’à l’Éternité.
31. Ainsi nombreux des premiers [dans le monde] deviendront derniers et derniers premiers. »

Commentaire et contexte de cet Évangile

Pour expliquer l’usage que les missionnaires devront faire des richesses matérielles, Jésus utilise au verset 10,25 une métaphore qui a souvent paru étrange :
« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ».

Cette formule a inspiré quantité d’explications plus ou moins convaincantes ; notamment celle d’une prétendue « porte de l’aiguille » que les caravanes chargées de marchandises auraient eu, dit-on, bien du mal à franchir pour pénétrer dans l’enceinte de Jérusalem.

Afin de goûter la saveur de cette image et d’en comprendre la grande richesse sémantique, il est indispensable de la replacer dans son contexte de culture orale araméenne et de considérer qu’elle s’adressait à la fois aux marchands - dont les caravanes chargées de richesses sillonnaient alors les routes de Palestine - et aux premiers disciples de Jésus qui, pour la plupart, exerçaient le métier de pêcheurs sur le lac de Tibériade.

Un jeu de mot araméen

Jésus joue sur le double sens du mot « gamla » ; lequel, en araméen ܓ݂ܲܡܠܵܐ, signifie à la fois « chameau » et « câble »^[1].

Pour les marchands, il désignait la grosse et longue corde dont ils se servaient pour attacher leurs chameaux les uns derrière les autres ; et par extension la caravane elle-même, avec toutes sortes de marchandises lourdes et difficiles à transporter.

Pour les pêcheurs de Tibériade en revanche, le mot « gamla » avait un sens tout différent. Il désignait le gros câble^[2] dont ils formaient un vaste cercle et sur lequel le filet proprement dit venait s’attacher. Les mailles en étaient faites de ficelles fines et peu résistantes qui cédaient souvent sous les poids des poissons. De sorte qu’on devait constamment les ravauder, en utilisant pour cela une grosse aiguille de bronze dont le chas avait une largeur suffisante pour laisser passer les fines mailles du filet mais dans lequel il était évidemment impossible d’introduire un quelconque « chameau ».
Même en cours de pêche cette aiguille permettait de pratiquer un dépannage et de ne perdre aucun poisson.

Ainsi, une meilleure traduction du verset 10,25 serait :
« Il est bien plus facile de faire passer un cordage par le chas de l’aiguille que de faire entrer un riche dans le Royaume de Dieu. »

Richesses dans la vie et dans la mission

Ainsi l’ambiguïté du mot « gamla » permet-elle à Jésus de faire d’une pierre deux coups et de décliner son enseignement sur deux niveaux différents et complémentaires.

En lui donnant le sens de « chameau », Il fait allusion à l’embarras qu’une trop grande abondance de biens matériels constitue inévitablement pour la vie spirituelle d’un individu. A l’instar du jeune homme riche, celui qui s’y attache prend le risque mortel de se perdre et de s’en retourner « tout triste », en ayant tourné le dos à son Sauveur.

Quant à l’allusion au « câble » et au « filet » des pêcheurs, elle renvoie évidemment à la mission d’évangélisation dont ses disciples seront chargés et qu’ils devront mener en suivant des directives très précises. Certes ils ne devront en aucune façon partir sans rien. La catéchèse de Jésus est trop réaliste pour contenir une telle exigence. Mais ils devront ne se charger que du stricte nécessaire et renoncer résolument au superflu.

Qu’est-ce qui est nécessaire ?

Reste à savoir ce qui est vraiment nécessaire à l’homme, et ce qu’il lui faut à tout pris abandonner pour marcher à la suite de Jésus. C’est la question que pose Pierre en 10,28 quand il dit :
« Voici que nous avons tout laissé et nous sommes attachés à Toi. »

Et la réponse de Jésus, c’est qu’avec l’aide de Dieu « à qui tout est possible », l’homme doit viser beaucoup plus haut que ce qu’il est capable d’atteindre par ses propres forces ; qu’il doit renoncer à des attachements terrestres et à des sentiments trop humains qui, même s’ils sont parfaitement légitimes, constituent un poids insupportable, comparables à ces richesses qui ont paralysés le jeune homme lorsqu’il est venu interroger Jésus ; des richesses qui l’attachent à sa famille charnelle et à sa maison mais qui sournoisement l’empêchent aussi de venir s’abreuver dans cette pure communion d’amour qui constitue l’Église du Christ, le Royaume de Dieu.

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par Pierre Perrier

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