Luc 16,1-13

Vous ne pouvez servir Dieu et courtiser l’argent, le Mammon

Évangile du dimanche 21 septembre

Tiré du collier de la miséricorde, cet évangile est à placer dans la perspective de la fin des temps et du jugement que tout être humain aura à y subir. Il évoque en particulier ce qu’il arrivera, lors de son passage au shéol, à celui qui aura exagérément recherché les richesses de ce monde et qui se sera servi de « l’argent trompeur » pour procéder à des escroqueries et à des malversations, en abusant de la confiance des uns et des autres, mais surtout en prenant la grave responsabilité de corrompre l’âme des plus petits et des plus faibles, les entraînant ainsi sur les chemins de la malhonnêteté et de la délinquance.

Données introductives sur Luc 16,1-13

L'Évangile de Jésus Christ selon Saint Luc
chapitre 16, versets 1 à 13

Note de traduction : pour des questions de droits d’auteur qui nous empêchent de publier le texte commun, nous vous proposons ici une traduction de l'Évangile depuis la Vulgate latine et la Peshitta araméenne. Bien qu'imparfaite, notre traduction cherche à favoriser la conservation du contexte de ces deux traditions ecclésiales. La pertinence de cette page tient davantage au commentaire proposé à sa suite.

1. ^[1]Et Jésus dit aussi une Parole^[2], étant avec Ses disciples : « Il y avait un homme riche qui avait un intendant ; et cet homme était accusé auprès de lui d’avoir dissipé ses biens.
2. Et son maître le convoqua et lui dit : "quelles sont ces choses que j’entends sur toi ? Rends-moi compte de la reconnaissance que je te devrais pour avoir été mon intendant, car toi tu ne pourras plus être dans ma maison."
3. L’intendant se dit en lui-même : "Comment m’organiser^[3] puisque mon maître m’enlève mon métier d’intendant de sa maison ? Creuser je ne peux pas et mendier j’aurais honte !
4. Je sais comment je vais m’organiser pour que, chassé de ma gérance de cette maison, je sois invité dans d’autres maisons.
5. Et ayant appelé, l’un après l’autre, les débiteurs de mon maître, je dirai au premier « Combien dois-tu à mon maître ? »^[4]
6. Il lui dit : « Cent mesures d’huile. », alors il lui dit : « Assieds-toi, prends ton écritoire et écris cinquante. »
7. Et il dit à un autre : « Et toi combien dois-tu à mon maître ? » Il lui dit : « Cent mesures de blé. », alors il lui dit : « Reçois ton écritoire et change l’écrit en quatre-vingts mesures. » »
8. Et Notre Seigneur [Jésus] loua l’intendant malhonnête parce qu’il avait sagement fait ; car il y a, dans la même génération, des enfants de ce monde qui agissent avec plus de sagesse que les enfants de lumière.
9. De plus, Moi Je dis d’utiliser cet argent malhonnête [le Mammon] pour faire aux autres selon le même amour que vous avez pour des proches. De sorte qu’eux aussi puissent être reçus dans les demeures éternelles.
10. Celui qui pour les petites choses est fiable, l’est aussi pour beaucoup plus et celui qui, dans les petites choses est malhonnête, l’est aussi pour beaucoup plus.
11. Si par conséquent, dans le Mammon malhonnête vous n’avez pas été fiable, en quelle Vérité cohérente serez-vous fiable ?
12. Si vous n’avez pas été fiable pour ce qui concerne les autres, comment vous fera-t-on confiance pour ce qui vous concerne vous-mêmes ?
13. Nul serviteur ne peut servir complètement deux maîtres ; car soit il détestera l’un et aimera l’autre ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir vraiment Dieu et la toute-puissance de l’argent [le Mammon].

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Commentaire et contexte de cet Évangile

L’ethnographie au secours de l’exégèse

Avec le personnage de ce maître qui fait curieusement l’éloge de son propre voleur, et de ce même voleur à qui sont promises « les demeures éternelles », le sens de ce texte est passablement difficile à saisir ; et il a d’ailleurs souvent provoqué l’étonnement et la polémique parmi les exégètes. Pour le prédicateur qui prend à tâche d’en faire le commentaire dans son homélie dominicale, son interprétation peut constituer un exercice délicat ; quand il ne lui donne pas carrément l’impression d’être confronté à un mystère insoluble.

Pour en trouver la clé, il suffit pourtant de connaître une pratique sociale qui relève de l’ethnographie et concerne la vie que l’on menait dans les campagnes de la Palestine à l’époque de Jésus. Il faut savoir en effet que les sommes dont l’intendant fait généreusement remise aux fermiers de son maître ne sont pas du tout indiquées au hasard. Elles correspondent en fait, très exactement, à ce qu’était alors la rémunération normale de l’intendant d’un grand domaine agricole : une rémunération susceptible d’inspirer bien des jalousies et dont aucun habitant du voisinage ne pouvait ignorer le montant exact.

Sa valeur correspondait toujours à 50 % du prix total de la récolte d’huile, et à 20 % du prix de la récolte de blé.

L’entourloupe du gérant

Cette précision étant donnée, le sens du récit devient aussitôt plus limpide. Pour se tirer du mauvais pas dans lequel ses malversations l’ont fourré, l’intendant fait usage d’un subterfuge extrêmement habile qui va non seulement maquiller son larcin mais lui valoir aussi la sympathie des fermiers. Ce tour de passe-passe consiste à leur faire remise d’une certaine somme d’argent qu’ils reconnaîtront aussitôt pour correspondre au montant de ses honoraires ; des honoraires qui permettront de couvrir, en totalité ou en partie, les sommes qu’il leur a par ailleurs - et sans qu’ils s’en rendent compte - abusivement réclamées.

Une responsabilité aggravée

Cette générosité de façade lui vaut évidemment la sympathie des fermiers, mais elle ne diminue pas pour autant - et loin s’en faut - la gravité de l’escroquerie à laquelle il s’est livré vis-à-vis d’eux. Elle l’aggrave au contraire en les rendant complices de son geste malhonnête et en les entraînant ainsi dans les voies de la délinquance et du péché. Les papiers qu’il leur a fait rédiger de leur propre main et qu’ils ont dû signer de confiance, ne constituent-ils pas en effet ce que l’on appellerait aujourd’hui des faux en écriture ? C’est-à-dire des documents qui les compromettent gravement au regard de la loi, et font d’eux les complices désignés d’une véritable entreprise criminelle.

Du bon usage de l’argent trompeur

La suprême habileté de l’intendant consiste, sinon à se donner le beau rôle, du moins à poser des actions qui semblent aller dans la bonne direction et remettre un peu les choses dans le bon ordre. Quand il s’adresse aux fermiers, ne dirait-on pas qu’il vient simplement corriger une erreur de comptabilité ; leur rendre un « trop perçu » qui se serait fait à leur détriment et bien évidemment … sans qu’il y soit lui-même pour quelque chose ? Ne dirait-on pas également qu’il prend généreusement à sa charge les conséquences financières de toutes ces bévues ; en renonçant à son salaire et en prenant ainsi dans sa propre poche pour rembourser les fermiers et donner à leur maître la totalité de ce qui doit lui revenir ?

Les structures de péché se mettent en place dans la société

Grâce à l’ingéniosité des voleurs et au consentement tacite de leurs victimes, les désordres que provoque l’argent dans la vie sociale et dans le cœur des hommes ne cessent de prospérer et de se répandre. Et c’est ainsi que se met en place une sorte de contre-société criminelle qui se donne ses lois et ses usages, et qui se montre toujours particulièrement pointilleuse sur le respect de ce qu’elle appelle son « code d’honneur ».
C’est un phénomène que nous appelons aujourd’hui « le milieu », « la pègre » ou « la mafia » ; mais que « l’argent trompeur » a suscité à toutes les époques et dans toutes les sociétés. Jésus en dénonce la nature secrète quand Il déclare : « Il y a, dans la même génération, des enfants de ce monde qui agissent avec plus de sagesse que les enfants de lumière. »

À ce sujet, nous vous recommandons l’encyclique de Saint Jean-Paul II : Combattre le péché personnel et les « structures du péché »

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