Jean 2,13-22

Jésus et les marchands ou les deux Temples profanés

Évangile du dimanche 9 novembre

Pour comprendre la cohérence de cet évangile, il convient de bien saisir le lien qu’il établit entre les deux profanations qu’il évoque. La première profanation est celle du « Temple de pierre » que le roi Hérode a fait rebâtir 46 ans plus tôt ; la deuxième est celle de ce « Temple de chair » que le Corps de Jésus est appelé à devenir bientôt, après qu’Il aura été vendu à prix d’argent, comme peut l’être celui d’un animal qu’on offre en sacrifice.

Données introductives sur Jean 2,13-22

L'Évangile de Jésus Christ selon Saint Jean
chapitre 2, versets 13 à 22

Note de traduction : pour des questions de droits d’auteur qui nous empêchent de publier le texte commun, nous vous proposons ici une traduction de l'Évangile depuis la Vulgate latine et la Peshitta araméenne. Bien qu'imparfaite, notre traduction cherche à favoriser la conservation du contexte de ces deux traditions ecclésiales. La pertinence de cette page tient davantage au commentaire proposé à sa suite.

13. ^[1]La Pâque des Juifs était proche et Jésus était monté à Jérusalem.
14. Et il trouva devant le Temple des vendeurs de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que des changeurs assis.^[2]
15. Et ayant fait un fouet avec des cordes, Il les chassa tous hors du Temple avec leurs brebis et leurs bœufs. Puis Il jeta dehors l’argent des changeurs et renversa leurs tables.^[3]
16. Et à ceux qui vendaient les colombes, Il dit : "Reprenez celles-ci et ne faites pas de la Maison de Mon Père un lieu de commerce."
17. Et ses disciples se souvinrent de l’Écriture^[4] : "L’amour de ta Maison m’a rongé."
18. En réponse, les Judéens Lui disaient : "Quel signe^[5] nous montres-Tu, Toi, en faisant cela ?"
19. En se désignant Lui-même^[6], Jésus leur répondit : "Détruisez ce Temple et en trois jours Moi Je Le^[7] remettrai debout, Moi."
20. Les Judéens Lui dirent : "Ce Temple a été rebâti en quarante-six ans, et Toi, Tu le remettrais debout en trois jours ?"
21. Alors que Lui parlait du Temple de Son Corps.
22. Quand donc Il se fut remis debout en revenant de la Maison des Morts^[8], ses disciples se rappelèrent qu’Il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture^[9] et à la Parole que Jésus avait dite.

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Commentaire et contexte de cet Évangile

La profanation du Temple de pierre

Empêché de se faire entendre de la foule à laquelle, en cette fête de Pâques, Il entend dispenser son enseignement de Rabbi, Jésus est pris d’une violente et sainte colère. Une colère dont ses disciples ne manquent sans doute pas de s’étonner tant elle est contraire à l’image pacifique qu’ils ont de leur Maître.
Elle a pour cause l’habitude scandaleuse que les marchands de bœufs et de brebis ont prise, de pratiquer leur commerce non plus à l’extérieur de l’enceinte du Temple (comme le voulait la coutume) mais à l’intérieur ; à proximité immédiate de l’endroit sacré où s’élève journellement la fumée des holocaustes.

Cette pratique est d’autant plus désastreuse qu’outre les nuisances qu’elle génère en termes de propreté et d’hygiène, elle a eu pour conséquence d’attirer en ces lieux toute une foule avide de banquiers et de changeurs ; lesquels n’ont pas hésité à y installer leurs comptoirs et à attirer les chalands à force de cris et de clameurs. Et tout cela bien sûr avec l’accord tacite des Grands Prêtres et la complicité probablement intéressée des lévites.

Le culte sacrilège de Mammon

Pareille présence à Jérusalem et sur le Mont du Temple, pareille débauche d’or et d’argent à côté du « Saint des Saints », cela a bien de quoi susciter l’indignation de Jésus. Cette promiscuité ne risque-t-elle pas en effet de troubler l’âme des pèlerins et d’être cause de scandale pour bien des enfants d’Israël ? Ne s’agit-il pas en fait d’un culte idolâtre insolemment rendu à Mammon devant l’Autel du Dieu d’Israël ? N’est-ce pas là en somme « l’abomination de la désolation » annoncée par les prophètes ?

Dans cet accès de colère qui Le pousse à user de violence, on peinerait un peu à reconnaître l’image du « doux maître galiléen ». Si toutefois un détail subtil et plein de sens ne nous incitait à nuancer cette impression première. Il s’agit du fait que l’attitude de Jésus apparaît sensiblement différente, selon qu’Il veut corriger les commerçants indélicats et leur riche clientèle ou qu’Il s’adresse à d’humbles pèlerins qui ne peuvent payer ni le prix d’un bœuf, ni même celui d’une brebis, et qui pour offrande doivent se contenter, comme le firent Marie et Joseph, de deux modestes et peu onéreuses colombes. À ceux qui en font commerce, point de coups de fouet ni de propos cassants, point d’invectives blessantes de la part du Seigneur ; seulement une invitation ferme, mais mesurée, et au fond bienveillante à ne pas faire « de la Maison de Mon Père un lieu de commerce. »

La profanation du Temple de Chair

Aux pharisiens qui ne peuvent ignorer qu’Il a raison, mais qui Lui demandent tout de même au nom de quoi Il agit de la sorte, Jésus répond par une « parabole jouée ». C’est-à-dire par une pratique oratoire qui consiste à accompagner les propos qu’on prononce par une gestuelle qui non seulement en explique le sens, mais sollicite l’imagination et la créativité de celui qui l’écoute ; afin qu’il en développe lui-même le sens en profondeur. C’est là un procédé courant d’oralité et qui est bien adapté à un enseignement d’ordre spirituel, dont ne saurait rendre compte un exposé purement théorique et prescriptif tel qu’en produisent les philosophes.

On peut imaginer Jésus pratiquant cette gestuelle au moment où Il fait cette étrange prophétie de la destruction et du relèvement du Sanctuaire. On peut L’imaginer portant sur ses interlocuteurs un regard entendu et complice, puis faisant le geste de se désigner Lui-même, en dirigeant sa main vers sa poitrine ; afin de suggérer à ceux qui auront le cœur ouvert pour comprendre, qu’Il est Lui-même ce Temple sacré que l’on profane à force d’excréments d’animaux, de trafic d’argent corrompu et surtout de péchés. Un Temple de chair qui remplacera bientôt le Temple de pierre où Il sera livré à la main de ses bourreaux.

Plus tard tu comprendras

La grande richesse de cette pratique orale, c’est qu’elle sollicite la participation active de celui qui reçoit l’enseignement, en laissant à la Parole le temps de germer dans son esprit et d’y produire des fruits inattendus. La parole est donnée pour prendre sens après coup, une fois qu’avec l’aide des gestes, elle aura suffisamment infusé dans l’esprit et dans le cœur de ceux qui le reçoivent.

Son principe tient en une formule qu’en Israël les maîtres de sagesse font constamment résonner aux oreilles de leurs disciples : « Plus tard tu comprendras. » C’est un principe de révélation a posteriori du sens dont l’évangile qui nous occupe ici a le mérite de fournir des exemples très caractéristiques. Non seulement avec la « parabole jouée » par laquelle Jésus accompagne ses propres Paroles, mais également avec les propos des apôtres, quand ils se rappellent et comprennent après-coup le verset de l’Écriture où il est dit : « L’amour de ta Maison m’a rongé » ; et lorsqu’ils comprennent, a posteriori, le sens de l’expression « en revenant de la Maison des Morts », prononcée par Jésus le jour de la Transfiguration.

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